Monday, November 28, 2011

Rose Bonbon


L'ambiguïté sexuelle chantée à La Villette
26.11.11


"Ne dites pas à Susanne Oberbeck, alias No Bra, "sans soutien-gorge" en anglais, que ses performances bousculent la frontière entre les genres. Peu importe que la jeune artiste allemande soit programmée dans le cycle masculin/féminin de la Cité de la musique, à Paris. La programmation, éclectique, mêlait, jusqu'au 26 novembre, des concerts revisitant les voix de castrats, des danses sacrées de l'Inde du Sud où les hommes interprétaient, autrefois, des rôles de femmes, etc.
Vendredi 25 novembre, la scène underground était à l'honneur. L'occasion de découvrir des artistes à la marge dénichés par l'association parisienne In Famous, sensible aux questions de genre. No Bra, donc, chanteuse et vidéaste, s'est taillé une réputation de provocatrice. Parce qu'il lui est arrivé de se produire avec une fausse moustache. Parce que sa voix descend dans des graves insoupçonnés. Androgyne ? "Je ne suis pas transgenre, je suis juste moi-même", dit-elle en partageant une bière dans sa loge, avant de monter sur scène.

Jambes interminables fourrées dans un jean, cheveux blond vénitien aux fesses, yeux bleus et teint de rousse, elle rejette toute étiquette et déjoue les codes. "Dans les années 1970, note-t-elle, on ne rangeait pas dans une case l'ambiguïté sexuelle de David Bowie ou de Patti Smith..." Démonstration quelques minutes plus tard, sur scène. Monokini, godillots, chaussettes à paillettes, elle dévoile la courbe voluptueuse d'un sein sous un tee-shirt troué. Chante d'une voix monocorde, façon Nico, des histoires de la vie ordinaire. Et pourtant... Est-ce sa longue chevelure qui l'habille, ou son beau visage grave ? On ne sait par quel miracle elle évoque soudain une version moderne de La naissance de Vénus du maître italien Botticelli (vers 1485). Un ordinateur portable en lieu et place du coquillage. Alors, garçon manqué ou concentré de féminité ? On ne le saura pas, et c'est très bien.

En deuxième partie, place au crooner rose bonbon. Blond devant, brun derrière, robe courte et talons. L'écossais Gordon Sharp, du collectif Cindytalk, a trente ans de scène et de collaborations artistiques derrière lui (Cocteau Twins, This Mortal Coil...). Il a traversé les genres musicaux (post-punk, dark-wave) et semble avoir trouvé sa voie dans la musique ambient-industrielle. Après s'être frotté les mains au whisky - ou au brandy ? - et bu quelques gorgées de cet élixir, Gordon Sharp ferme les yeux, et improvise. Utilise sa (belle) voix comme un instrument qui ne s'arrête jamais et s'écoule dans une veine poétique et mélancolique. A côté de lui, Robert Hampson explore les limites de sa guitare tout en réglant les nappes électro.

Au-dessus, un film à la beauté expérimentale donne à voir quelques flashs d'Anna Karina dans Vivre sa vie (1962) de Jean-Luc Godard. Un clin d'oeil pour cet artiste qui a très tôt choisi de vivre la sienne en toute liberté, en explorant son genre à volonté. "Gender Freedom !", résume-t-il après la représentation. "Je suis un homme biologique, j'assume ma part de masculinité. Mais dès l'âge de 9 ou 10 ans, j'ai voulu explorer mon côté féminin. Je peux être parfois très mec, ou très fille, cela dépend des jours et de l'hume ur." Dans son album Transgender Warriors (2003), il a voulu rendre hommage, dit-il, aux personnes transgenres qui luttent pour exister. Des héros ordinaires qui font la "révolution" chaque jour, qu'il s'agisse d'affronter le regard des passants dans la rue ou de retirer une lettre recommandée à la poste, en jupe mais avec des papiers masculins.

Et l'on se surprend à fredonner "Cherchez le garçon/Trouvez son nom", le tube des Taxi Girl. Le genre, c'est une vieille histoire sans fin."

Clarisse Fabre for Le Monde

Photo by bladsurb

Art à part

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