Friday, August 05, 2011
"Hanté par l’absence mais habité..."
Avec Hold Everything Dear, Cindytalk poursuit le chemin débuté en 2009 chez Editions Mego. Toujours un peu plus loin dans l’abstraction et le minimalisme, toujours un peu plus beau.
Cet album est le dernier opus d’une série initiée en 2009 avec The Crackle Of My Soul et poursuivie en 2010 avec Up Here In The Clouds montrant Cindytalk explorer de nouvelles voies sonores. Ce qui est un peu le paradigme de Gordon Sharp, âme de Cindytalk et membre permanent de la formation écossaise depuis ses débuts en 1982. D’ailleurs, d’âme, il en est beaucoup question tout au long d’Hold Everything Dear. Avant tout un très beau disque. Majestueux, d’une lenteur acerbe, d’un silence assourdissant et surtout, doté d’une aura singulière, peut-être encore plus que ses deux prédécesseurs. Sans doute parce qu’il s’agit d’un disque semi-posthume. Composé et enregistré à deux, entre le Japon et l’Angleterre, entre 2006 et 2011, entre Gordon Sharp et Matt Kinnison, entre la présence de l’un et l’absence de l’autre car Matt Kinnison est décédé en 2008. Le disque évolue à la fois avec lui et sans lui, son absence exacerbe sa présence au moment de l’écoute, la rendant à la fois spatiale et spéciale. Le disque lui est dédié mais l’est aussi à l’écrivain britannique John Berger, Hold Everything Dear étant d’ailleurs le titre d’un recueil d’articles et d’essais mêlant politique, sociologie, poésie et psychologie, écrits au cours de ces dernières années et pour la plupart publiés dans le Monde Diplomatique, El Pais et autres quotidiens internationaux.
Il faut dire que Cindytalk a toujours entretenu des liens forts avec la littérature (Wappinschaw, sorti en 1995, comportait déjà une collaboration avec Alasdair Gray par exemple) et plus généralement avec l’art sous toutes ses formes, ce qui apporte non pas un concept mais un message sous-jacent, une dimension supplémentaire à sa musique, même si celle-ci s’écrit désormais sans paroles et que sa voix s’est tue. Ce qui n’a pas toujours été le cas. Cindytalk a eu plusieurs visages et plusieurs musiques : apparus en 1982, la première vie des Écossais se déroule à l’ombre des friches industrielles d’un post-punk très noir et martial dont je ne peux que vous conseiller l’écoute (Camouflage Heart pour n’en citer qu’un, crade et sombre). S’ensuit un parcours tortueux, aux mutations et changements de line-up nombreux avec, pour seul dénominateur commun, la présence de Gordon Sharp, de sa voix et de son piano puis de son piano seul, la musique oscillant alors entre expérimentations concrètes, ambient et électronique aux digressions noise et industrielles.
Ce dernier disque ressemble à une forme d’aboutissement. Complètement épuré, tout comme le line-up du groupe. Débarrassé de tous oripeaux. Des anciens visages de Cindytalk, il ne reste plus grand chose, ou plutôt, tous ses anciens visages se retrouvent amalgamés dans celui-ci. À force de sculpter sa matière sonore, Gordon Sharp semble avoir atteint le cœur, et celui-ci est habité de vide. Comme un éther. Une large part est laissée aux field recordings, rendant Hold Everything Dear grouillant et habité, presque vivant. Et entre ces bruits, voire en-dessus, un piano, des clochettes, des nappes synthétiques majestueuses à l’origine de séquences mélodiques d’une grande beauté et d’une grande pureté. Cindytalk largue les amarres. On navigue ainsi au gré d’une myriade de sons qui suffisent à poser une ambiance, à créer une image mentale et on voyage beaucoup. Tour à tour extrêmement abstrait (l’enchaînement Those That Tremble As If They Were Mad/Floating Clouds d’une aridité extrême, rythmé par des gouttes de pluie, des nappes qui ne vont nulle part. Il faut s’accrocher et en même temps, se laisser faire) et mélodique (I See You Uncovered, Waking In The Snow), l’écoute d’Hold Everything Dear n’est sans doute pas des plus faciles mais dans le même temps, on s’y sent bien.
Et l’on se raccroche quand on le peut aux mélodies, certes parcimonieuses, mais toujours bien placées et à l’effet de sidération démultiplié du fait de leur rareté même. Le propos est majoritairement sombre et mystérieux, le minimalisme poussé dans ses derniers retranchements et pourtant, quelque chose se passe. Parce que sous ses dehors de grande sécheresse, il y a dans ce disque-là de quoi explorer longtemps. De l’entame véritablement céleste avec charivari de clochettes, cris d’enfants avant qu’un piano élégant et solennel ne prenne la place puis s’arrête pour mieux reprendre le morceau suivant, à In Dust To Delight qui pourrait figurer sur la B.O. de Blade Runner. Il s’ensuit une suite de morceaux solaires et inquiets, sans aucun rythme, presque invertébrés mais à l’ossature paradoxalement bien réelle. Découpage aléatoire des plages, stridences synthétiques qui viennent compléter l’ensemble. C’est très lent, très contemplatif et aussi très beau.
Très vite, on ne sait plus où l’on se situe dans le disque, le passage d’un morceau à l’autre est gommé, le climax emporte tout. Et alors que l’on se dit qu’il s’agit d’une morne plaine, un segment mélodique agrippe, pousse à prendre de la hauteur et de là-haut, on voit alors l’ensemble et on ne peut qu’être soufflé par la minutie du paysage ainsi dévoilé. L’abstraction pure m’a rarement pris dans ses filets comme ici. Un disque qui, à l’instar de ses deux prédécesseurs, trouve idéalement sa place chez Editions Mego et se meut quelque part sur un segment délimité par Kevin Drumm d’un côté et Fennesz de l’autre, entre sound-art, dark ambient, field recordings, drone et arrangements classiques minimalistes. Tout à la fois aride mais vivant, abstrait mais accueillant, aléatoire mais fluide, hanté par l’absence mais habité, Hold Everything Dear est avant tout une œuvre magnifique.
Magistral.
Hold Everything Dear reviewed by leoluce for Indie Rock Mag
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